ELVIFRANCE

ET

LA CENSURE

Il est absolument impossible de parler d'Elvifrance, sans évoquer la question de la censure. La censure à jalonné toute l'histoire d'Elvifrance. La loi n°49-956 de 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, est le cadre permettant cette censure.

Georges BIELEC l’éditeur des publications EF a été sans doute le plus interdit de toute l’histoire de la BD.   Malgré tout, bien que victime de la censure les publications EF n’ont jamais été abandonnées. Pourtant de 1972 à 1989, les EF ont essuyés 776 interdictions…

Au sujet de la censure des BD en générales

et d’Elvifrance en particulier

"Coup de feutre", des explications par Bernard Joubert

Titres parus et Titres non parus

Egalement sur ce site :

Infos, couvertures n° rares ou interdits

Infos sur les microtirages de la série SATIRES

  

La revue LE COLLECTIONNEUR DE BANDES DESSINEES      n°78 (1995) et n°80 (1996) a publié deux importants articles de Bernard JOUBERT sur Elvifrance, le premier article (n°78) retrace l’histoire des éditions ELVIFRANCE et le second (n°80) traite d’ELVIFRANCE et la CENSURE. 

Bernard Joubert est également co-auteur avec Yves FREMION d'un livre parut chez Syros-Alternatives en 1989 "IMAGES INTERDITES". Une histoire très illustrée de la censure : peinture, gravure, cinéma, télévision, BD, affiches, etc. La

censure apparaît alors sous son vrai visage : dérisoire et risible...

Un livre sur la censure est en préparation, incluant Elvifrance et la censure.

 

 

Un article du journal LIBERATION en date de 1976 sous la plume de RACKAM, rappel les premières interdictions de 1972 par Raymond Marcelin (ministre de l'intérieur sous Pompidou), de 8 des 10 premiers titres d'Elvifrance. L'article de LIBE, fait suite aux interdictions par Michel Poniatowski (ministre de l'intérieur sous Giscard).

LIBERATION - 14 séptembre 1976 -

Après les interdictions de Ponia

ELVIFRANCE,

FINEMENT TROUSSÉ,

MALICIEUSEMENT COQUIN,

BORGIAQUE, DU FENDANT DE PREMIÈRE,

ÉLECTROCHOQUANT, À LIRE À DEUX

 

 

On disait " en France, il n'y a pas de comix comme aux Etats-Unis ", on se jettait sur Crumb, Clay Wilson et les autres, on se refilaint sous le manteau les E.C Comics, les "spirit" et les bandes de Steve Ditko; pendant ce temps nos différents ministres de l'Intérieur interdisaient à l'affichage et au moins de 18 ans des dizaines de titres de collections de bandes dessinées de poche, Sam Bot, Lucifera, Goldboy, Jacula, tous publiées par Elvifrance.

Tout commença en 72 sous le règne de Master Raymond Marcellin qui s'attaqua d'un seul coup d'un seul à 8 des 10 premiers titres d'Elvifrance par "commission des publications destinées à la jeunesse" interposée. Celle-ci, alors que tous les titres Elvifrance sont publiés avec la mention "Bande dessinée adulte", imposa à l'éditeur de déposer tous ses recueils trois mois à l'avance. Histoire de pouvoir les contrôler et les interdire au besoin. A l'époque seul l'ami Delfeil De Ton sortit sa plume pour les défendre. Pourtant le procédé est assez insupportable: quand on interdit une revue à l'affichage et au moins de 18 ans en plus des difficultés de diffusion celle-ci est considérée comme pornographique et donc taxée d'une TVA de 33 %.

Par ailleurs le fisc peut vous empailler quand bon lui semble. Or que pense le fisc d'Elvifrance ? Il considère que ce ne sont ni des revues ni des publications mais des "périodiques" et il peut ainsi leur refiler une taxe générale de 20 %. L'intitulé du fisc précisant même qu'en aucun cas les titres Elvifrance ne saurait être "une oeuvre de l'esprit" (sic).

Bon an, mal an, taxé, cité à comparaitre devant les tribunaux, Elvifrance sort aujourd'hui 24 titres, des Contes Malicieux à Terrificolor en passant par Lucréce, Isabella, les EF Popcomix.... etc.... La dernière interdiction en date vient de Michel Poniatowski lors de sa razzia de rentrée sur la bande dessinée. Elvifrance a cependant réussi à faire lever l'interdiction à l'affichage sur plusieurs de ses séries.

Voilà pour l'histoire. Voyons maintenant, les publications elles-mêmes. Il faut savoir d'abord qu'elles sont toutes vendues à une petite moyenne de 80.000 exemplaires, ce qui dans le monde de la bande dessinée en France est un record. Et puis il faut lire Sam Bot, Maghella, les Contes Malicieux ou les EF Popcomix pour se faire une idée des meilleurs titres.

Certains sont écroulants de rire, racontant toujours la même histoire de mecs pommés, Albert et Robert, Sam Bot, faisant tous les boulots, mélés malgré eux à des histoires toutes plus extravagantes et minables les unes que les autres, rencontrant sans cesse des femmes qui les manipulent ou les épuisent. C'est surtout le cas du malheureux Sam Bot, anti-héros doté par la nature d'un sexe sans doute prodigieux (bien que toujours caché) mais qui lui rend la vie impossible et qu'il cache sans cesse comme une maladie honteuse.

Viennent ensuite les héroïnes, Blanche-Neige et le Petit Chaperon Rouge, celles des Contes Malicieux, qui évoluent dans un monde magique entièrement sexuel, se baignant gentiment dans des rivières de sperme, sautant un par un et en douceur tous les monstres de la mythologie, distribuant partout le bonheur et la sérénité des contes d'enfance.

Maghella aussi vaut le déplacement, elle traverse le Moyen Age à la recherche de son nain de mari, Rase Mottes, posant pour les gravures pornos d'un Gutemberg avare et lutineur, tronchant avec la Sainte Inquisition, séduisant sorciers et magiciennes... etc... Toutes ces histoires sont assez délirantes, se ressemblant souvent d'un recueil à l'autre mais assez imaginatives et délurées pour arriver à se renouveler. Il faut dire aussi qu'elles sont sauvées par leur langage qui fait la grande originalité d'Elvifrance. Tous les héros y parlent le langage de la rue, l'argot de tous les jours, le mien, le vôtre, causant sans cesse de baise et de tronche. Les hommes comme les femmes, s'exclamant toutes les dix lignes "pute vierge", inventant des mots gags ( en terrifirama, une histoire explosive, mégaterrifiante ; une poignante histoire déconologique Sam Bot le périodique qui fait des bulles et qui déconne comme c'est pas permis...)... etc...Ce langage là, qu'est ce que ça fait du bien de le lire.

 On dira, tout cela est très phallo, c'est vrai, mais c'est quand même très détourné et par les personnages masculins qui n'ont rien de supermen et par le langage ordurier et paillard des héroïnes.

On dira le dessin est guère inventif et très classique, c'est vrai pour quelques séries mais faux pour Sam Bot et EF Popcomix qui te campent une ville, un bureau cradingue ou un resto à 10 balles en trois coup de crayon.

On dira ce qu'on veut, moi je me marre en les lisant. Essayez.

RACKAM

PS: attention méfiez-vous des imitations, Pinochio, Alice et Santana. C'est copié et guère lisible. 

 

 

Article extrait du journal "MAINTENANT" (n°6 mai-juin 1994 ) consacré à la censure.

CAUSONS FRANÇAIS AVEC CHARLES PASQUA

LE DÉPÔT PRÉALABLE

Si la loi du 16 juillet 1949 est un gâteau d'hypocrisie, le onzième alinéa de son article de son article 14, en instaurant le dépôt préalable pour certains éditeurs, est la cerise qui parfait ce dessert ! Il prévoit que tout éditeur ayant eu trois publications interdites d'exposition au cours des douze derniers mois ne pourra plus, durant les cinq années à venir, mettre en vente de "publications analogues" sans les avoir présentées à la commission de surveillance et de contrôle trois mois avant leur diffusion. Q'un nouveau titre soit alors interdit, et c'est la totalité de son tirage qui est bon pour le pilon.

Deforges et Losfeld furent soumis à ce dépôt, s'y refusèrent et furent traduit en justice pour cela. D'autres éditeurs, ne bénéficiant pas de leur prestige, durent, eux, suivre la voie légale. En deux décennies d'existence les éditions Elvifrance eurent à détruire quelque quatre millions d'exemplaires de leurs pockets de bande dessinée, examinés et prohibés avant diffusion.

Le dépôt préalable fait mentir la loi de 1881 sur la liberté de la presse qui prévoie, dans son article 5, que "Tout journal ou écrit périodique peut être publié sans autorisation préalable". Il fait mentir Charles Pasqua --était-il besoin de le forcer ?-- qui distribuait aux visiteurs de ce que l'on surnomma son "exposition de l'horrible", en 1987, à l'époque de l'affaire Gai-pied hebdo, un dossier dans lequel on pouvait lire:"le fait de parler de censure est un abus de langage non admissible. La censure est préalable alors que les publications relevant de la loi de 1949 restent libres." Pourtant, depuis 1980, plus de 80 publications ont été au moins interdites d'exposition et d'affichage en dépôt préalable, dont une douzaine sous les ministères de Charles Pasqua.

Bernard Joubert

                                                      

Zordon n°17, le dernier numéro connu du public. Le n°18 était interdit d'exposition en dépot préalable, le 5 février 1984, et l'intégralité du tirage détruit

Le Fanzine Belge "La Case de l'oncle Dan" a consacré plusieurs n° à des séries Elvifrance.

Le n°4 (automne 1998) publie un relevé des séries ELVIFRANCE par René LEONE, Patrick MASGONTY, Daniel DEMAREZ sur base du travail de Pierre Caillens et introduit par un article de René Léone.

ELVIFRANCE OU LES REVUES INTERDITES ...

On dit toujours des petits formats qu'ils sont les parents pauvres de la BD, Mais si on évoque les petits formats adultes et plus spécialement les éditions Elvifrance alors là on peut carrément parler de l'indigent de la famille.

Très peu collectionnés voire complètement dénigrés par certains, les petits formats érotiques restent et resteront une sous BD, toute juste bonne à lire dans les toilettes.

Achetés pas cher, ils finissaient la plupart du temps à la poubelle. Il est vrai que la qualité n'a pas toujours été au rendez-vous, mais reconnaissons le, ils ont le mérite de nous faire rêver un peu en nous plongeant avec délice dans l'érotisme, l'horreur et bien d'autre univers interdits...

Et puis, il serait injuste d'oublier le formidable vivier qu'ont représentées les éditions Elvifrance. De grands dessinateurs célèbres sont passés par là: Manara, De La Fuente, pour n'en citer que deux, et bien d'autres anonymes tout aussi talentueux.

S'il est vrai qu'au départ la plupart des dessins sont d'origine italienne, ils  font désormais  partis de notre patrimoine français au même titre qu'un Blek, Rodéo ou autres héros de papier.

Dans les années 70, j'avais environ 13 ans et la totalité de mon argent de poche passait par l'achat de ces illustrés.

Aujourd'hui, comme la plupart des collectionneurs, je n'ai rien gardé de mes première lectures de jeunesse, mais tant pis... et tant mieux, j'ai encore plus de plaisir à les rechercher.

QUELQUES INFORMATIONS POUR DEMARRER LA COLLECTION:

Dans l'ensemble les séries sont faciles à trouver mais paradoxalement il est tout aussi difficile de trouver un premier qu'un dernier numéro, la difficulté venant certainement dans les deux cas d'un faible tirage.

LES TITRES LES PLUS COLLECTIONNES:

Au hit parade : n°1 JUNGLA, le chef d' oeuvre de Stélio FENZO et pour cause: qui n'a pas rêvé aux formes plantureuses de cette superbe Tarzane.  En n°2 MORTIMER le seul western Elvifrance par un maître du genre Victor DE LA FUENTE.

Pour ma part, je préfère la série" LUCIFERA" par le très génial Léone FROLLO, un dessin d'une rare beauté qui arrive à nous plonger dans un univers sublime ou l'aventure se mêle avec bonheur à un érotisme "infernal" des plus torrides.

 

LES NUMEROS RARES:

Sans conteste tous les Hors-Séries OUTRE-TOMBE, TERROR, ainsi que la plupart des numéros interdits par la commission de censure.

LES NUMEROS SPECIAUX:

"LES GANTS DE L'HORREUR" le seul essai manqué qui voulait imposer en France le format géant des n° spéciaux italiens. Idem pour FETICHISME numéro spécial de TERRIFICOLOR... (à ne pas mettre entre toutes les mains).

LES TITRES LES PLUS CONNUS:

Assurément l'indétronable "SAM BOT". Parfois au gré de mes rencontres je parle de la collection Elvifrance, mais la plupart ignorent jusqu'à l'existence des bouquins, sauf quand j'évoque le nom de "SAM BOT", alors de fait, une lueur dans leurs yeux: "...Mais oui ! le gars avec une grosse q..." qu'on ne voit jamais d'ailleurs !!

Mais curieusement, il est très peu recherché et je ne peux m'empêcher d'avoir une pensée émue pour son créateur Raoul Buzzelli qui dans les années 80, sans travail et après des années d'errance fini par se suicider...

Il n'est malheureusement pas le seul à nous avoir quitté prématurément, et je songe alors à GIOLITTI Alberto, le papa de JACULA mort en 1993, ainsi qu'à Roberto RAVIOLA alias MAGNUS, le grand maître du noir et blanc, et bien d'autres n'ayant plus l'opportunité d'inscrire le mot fin au bas de leurs extraordinaires travail.

Un chose est sûre, cette époque est bel est bien révolue.

Enfin et pour conclure, j'ai calculé pour les plus courageux qui voudraient démarrer cette collection pas moins de 3923 fascicules actuellement recensés pour Elvifrance et 491 pour sa soeur cadette Novel Press.

Alors, armez-vous de courage !!!

René LEONE

 

Le 30 janvier 1999, un colloque s'est tenu au CNBDI d'Angoulême (Centre National de la Bande Déssinée et de l'Image) dont le sujet était " 50 ans de censure ? "

Les éléments de ce colloque ont été repris dans le livre " On tue à chaque page ! " y figure la conférence donnée par Bernard Joubert sur " Elvifrance et le dépôt préalable " (qui résumait deux articles précédemment écrits pour le Collectionneur de bandes dessinées). Une main anonyme a glissé dans l'article de B. Joubert des modifications de son texte (insinuation sur la piètre qualité des publications Elvifrance ).

Au cours de plusieurs conversations ( fin décembre 2000 ) Bernard Joubert, m'a dit avoir fait " une mise au point sur "On tue à chaque page !", parue dans le dernier "Critix". Thierry Groensteen a aussi fait paraître une note dans "9e art", la revue du CNBDI, pour dénoncer ce qui était arrivé et expliquer qu'il se désolidarisait des modifications apportées à mon texte. Que les amateurs d'Elvifrance sachent que mes propos ont été trahis ! "

"9e art" n°5 (janvier 2000)

"Errata et mises au point

(...)

Profitons de cette occasion pour regretter qu'une main anonyme ait dénaturé le texte de Bernard Joubert qui figure dans l'ouvrage On tue à chaque page !, consacré à la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse, et coédité par le CNBDI et les Editions du Temps. Entre le manuscrit corrigé par Thierry Groensteen et le texte publié, des commentaires (d'ailleurs en parties erronés) dévalorisant les publications d'Elvifrance ont été introduits. Bernard Joubert et Thierry Groensteen se désolidarisent de ces modifications apportés sans leur consentement et en contradiction avec les opinions de l'auteur."

 Article paru dans "Critix" n° 11, automne 2000]

RETOUCHAGES, RETOUCHAGES…

Ce n'est pas agréable à dire, mais je renie le texte qui porte ma signature dans On tue à chaque page ! Ce livre constitue, pour une bonne part, les actes du colloque qui s'est tenu au C.N.B.D.I., en janvier 1999. Y figure donc la conférence que j'avais donnée sur " Elvifrance et le dépôt préalable " (qui résumait deux articles précédemment écrits pour le Collectionneur de bandes dessinées), mais avec tellement de modifications, de coupes et d'ajouts, que je ne peux endosser la paternité de ce texte, avec lequel je me retrouve même parfois en désaccord.

Les choses se sont déroulées ainsi. J'ai envoyé à Thierry Groensteen une retranscription fidèle de ma conférence. J'avais volontairement conservé un ton parlé - comme on recopie les propos d'une interview -, ainsi que les petites plaisanteries que j'essaie de toujours glisser dans ce genre d'intervention publique pour réveiller l'attention de l'auditeur. Thierry a pensé, avec juste raison peut-être, que cela nuirait à la cohérence de l'ouvrage et a rewrité ma syntaxe désinvolte et éliminé mes facéties. Cette version corrigée et maquettée m'a été soumise. Je n'étais pas très satisfait du résultat, mais je me suis dit " ne faisons pas chier le monde " (c'est ainsi que je m'exprime quand Titi Groensteen ne me surveille pas) et j'ai donné mon accord pour publication.

Problème : est encore intervenu, après cela, Jean-Paul Gabilliet, le directeur de collection, qui ne s'en est pas tenu, pour sa part, qu'à des retouches formelles. Sa nouvelle version ne m'a pas été soumise - un oubli de l'éditeur, semble-t-il -, et j'ai découvert le résultat en ouvrant le livre imprimé. Trois modifications me sont intolérables, parmi divers tripatouillages riches en coquilles :

- me faire dire que les bandes d'Elvifrance étaient " produites pratiquement à la chaîne en atelier par des tâcherons " ;

- que " les prix que Bielec payait ces bandes étaient eux-mêmes très bas " ;

- supprimer des citations de Wolinski (dans Charlie mensuel) et Delfeil de Ton (dans le Nouvel observateur), qui prenaient la défense d'Elvifrance, en 1973, pour ne conserver, en ouverture plutôt qu'en conclusion, qu'une citation à charge, celle de Raoul Dubois.

Il me faut donc répondre à un article dont je suis l'auteur.

Les bandes Elvifrance, n'étaient pas fabriquées en usine mais très classiquement produites par un scénariste et un dessinateur attachés à leur série. Giorgio Pedrazzi écrivait les scénarios de Mortimer et Victor De La Fuente les dessinait. Pippo Franco écrivait les scénarios de Sam Bot et Raoul Buzzelli les dessinait. Le dessinateur avait éventuellement un assistant ou un encreur - un système similaire à celui des meilleurs comic books, et qui n'a rien de méprisable en soi - et les styles de Buzzelli, Magnus, Manara, Jesus Duran, De La Fuente, etc., se reconnaissent aisément par les amateurs. Je n'ai jamais prétendu que ces fascicules populaires égalaient la chapelle Sixtine, mais, pour ma part, comme je le signalais d'ailleurs dans le CBD, j'ai une affection particulière pour Dino Leonetti et Mario Janni. D'autres, plus nombreux, s'enthousiasment pour Leone Frollo ou Stelio Fenzo. Pour un public non spécialiste, je m'étais bien gardé d'entrer dans ces considérations. Tout ce qu'on pouvait éventuellement dire pour suggérer à des lecteurs néophytes qu'il s'agissait d'œuvres mineures, c'était de préciser qu'elles étaient produites rapidement et anonymement. Un tel commentaire n'aurait pas eu le goût de crachat.

Concernant le coût de ces bandes pour Georges Bielec, j'ai épluché de fond en comble ce qui reste des archives Elvifrance, et n'ai trouvé aucune information à ce sujet - uniquement des documents concernant les ventes et le chiffre d'affaire, qui furent excellents pendant de nombreuses années. De nombreux cas de figure peuvent s'envisager, et je me serais donc bien gardé, quant à moi, de soutenir une thèse plutôt qu'une autre, sans preuve à l'appui.

Les citations de Wolinski et D.D.T., m'a expliqué depuis Jean-Paul Gabilliet, avaient des accents trop populistes. (Wolinski, c'est vrai, utilisait les mots " marrer " et " conneries ".) J'ai donc noté sur mes tablettes de journaliste inculte : il y a des documents historiques propres, et d'autres sales, et la rigueur universitaire consiste à poser les premiers sur le buffet et cacher les seconds sous le tapis. Universitaire rigoureux, c'est un peu comme femme de ménage.

Plus sérieusement, en fait, j'ai surtout eu l'impression qu'on cherchait, sous ma signature, à rabaisser Elvifrance et à conforter ainsi la position d'anciens membres de la Commission présents au colloque. Cela s'est ajouté à de multiples petits incidents, sûrement involontaires, mais qui n'ont cessé de me mettre mal à l'aise par leur accumulation. Autant au colloque que dans le livre , j'ai trouvé que les conséquences de la loi et son application concrète depuis cinquante ans étaient insuffisamment traitées. N'aborder l'article 14, et ses milliers d'interdictions, que par deux cas particuliers, Elvifrance et Hara kiri, tout en consacrant une dizaine d'interventions - toutes remarquables, je tiens à le souligner - aux origines ou à des sujets périphériques, me paraît un sommaire désagréablement déséquilibré . Simple revue, le n°4 de 9e art, traitait le sujet de façon bien plus équitable. Une personne, me dit-on, devait écrire sur les interdictions de romans. Elle est tombée malade. Si les microbes s'y mettent aussi !

J'ai également vivement regretté qu'au débat, repris dans le livre, ne puissent aisément s'exprimer que des membres ou d'anciens membres de la Commission, les chercheurs étant éparpillés dans la grande salle. Entendre ces commissaires dresser un bilan globalement positif de leur action et nous expliquer, de plus, comment ils avaient vaillamment lutté contre les méchants censeurs qui s'étaient glissés parmi eux pouvait amuser cinq minutes. Mais leur laisser ainsi toute liberté pour écrire l'histoire à leur convenance, puis reproduire ces propos dans un livre de référence, me gêne. Il m'est difficile d'entendre Raoul Dubois prétendre, sans être contredit, que, pour lui, l'article 14 " est nul et non avenu, et l'a toujours été ", alors qu'il fut, durant quarante ans, l'un de ceux qui réclamèrent le plus son application. Contre une commission qui voulait tolérer Barbarella à cause de son prix élevé, il fut celui qui intervint pour réclamer pas d'indulgence !, celui qui s'opposait encore à la libération d'Histoire d'O dans les années 70 (dix-sept ans après son interdiction, à laquelle il avait pris part, et contre l'avis du représentant du ministre de l'Éducation nationale, pourtant peu enclin à défendre les pornographes), celui qui s'attaquait à une revue sans contenu érotique comme Arcadie parce qu'elle " était rédigée à l'intention des homosexuels ", celui qui amenait en réunion des photos de kiosques à journaux qu'il soupçonnait de commercialiser des publications interdites… Gébé fut évidemment excessif quand, fulminant, il traita les membres de la Commission de nazis (intervention coupée dans le livre ), mais à prétendre avoir été les garants de la liberté d'expression, nos experts en moralité publique avaient, pour le moins, une très agaçante attitude à la Papon. (Je sauvais des journaux en cachette, et j'avais même un ami qui s'appelait Choron…)

On pourra me rétorquer : pourquoi ne pas être intervenu ? C'était difficile. Il fallait se procurer un micro. Je me souviens avoir pu le faire au moins une fois, pour reprendre Raoul Dubois lorsqu'il prétendait que les sanctions administratives préservaient des sanctions judiciaires (et que, donc, la loi de 49 avait quand même du bon). Ce qui est faux, les unes s'accommodant très bien des autres - et j'aurais pu ajouter, puisqu'il semblait soudain avoir des trous de mémoire, que, bien des fois, il avait lui-même réclamé l'interdiction de livres ainsi que leur poursuite pour outrage aux bonnes mœurs. Ses propos ont été conservés, pas les miens. Un détail, sans grande importance, mais qui, additionné aux autres, me fait, au finale, considérer On tue à chaque page ! d'un œil suspect.

Bernard JOUBERT

 

 

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